En quelques semaines, le chocolatier Pierre Marcolini a acheté un nouveau bâtiment de 3.500 mètres carrés (qu'il va agrandir et aménager) et est passé sous pavillon asiatique.
Quand il nous reçoit dans son atelier situé à Haren, le chocolatier Pierre Marcolini ne cache pas sa satisfaction. L’encre de l’accord prévoyant l’entrée de la société japonaise VM2 Holdings dans le capital du chocolatier comme actionnaire de référence n’est pas encore séchée. Et d’ici l’été 2024, Pierre Marcolini déménagera son atelier dans un bâtiment de 3.500 mètres carrés acquis récemment juste à côté de l’atelier existant dans lequel il s’était installé en 1999. L’occasion de faire le point sur les années écoulées et de se replonger dans ses souvenirs.
"En 1996, à mes débuts, quand je suis passé d’un espace de 30 à 60 mètres carrés, feu mon beau-père m’a demandé si je n’avais pas vu trop grand", se rappelle avec émotion Pierre Marcolini qui, après rénovation et agrandissement du nouveau bâtiment qui abritera ses bureaux et son atelier disposera d’un espace de 5.000 mètres carrés. À terme, avec l’arrivée du nouvel actionnaire "très largement majoritaire", l’objectif sera de tripler la production et d’accélérer la croissance sur le marché asiatique, le nouvel eldorado des chocolatiers. Pour Marcolini, il sera question de développer la Chine (8 boutiques), le Japon (9 boutiques) et la Corée du Sud, un pays dans lequel Marcolini n’est pas encore présent.
La magie de la pâtisserie
La passion de Pierre Marcolini pour le chocolat et les pâtisseries remonte à l’époque des louveteaux, à l’occasion de la visite de l’atelier d’un boulanger-pâtissier. "Pour moi, transformer des ingrédients comme de la farine, des œufs et du sucre en gâteau, cela relevait de la magie", nous a-t-il expliqué. Le jeune garçon pense alors avoir trouvé sa voie. Mais c’est à quatorze ans qu’il annonce à sa mère son intention de devenir pâtissier. Celle-ci, persuadée qu’il va finir en prison, reçoit la nouvelle assez fraîchement. "C’est l’idée que l’on se faisait des filières techniques à l’époque", résume le chocolatier. "Quand je suis arrivé au Ceria, je savais que c’est là que je pourrais poser mes valises, j’étais à la maison."
Dans la pâtisserie, le plus compliqué, ce qui permet de faire la différence, ce sont les décorations.
Cette rencontre est également l’occasion de vérifier si la légende correspond à la réalité. L’histoire raconte que lorsqu’il était enfant, il arrivait à Pierre Marcolini d’échanger des jouets contre des desserts. Il confirme, en avouant un faible pour les merveilleux, dont il parle avec une gourmandise à peine dissimulée.
Peu après ses études desquelles il ressort diplômé pâtissier, chocolatier et glacier, Pierre Marcolini se présente à La Parisienne, une boulangerie bruxelloise réputée afin de postuler au poste de chef pâtissier. Âgé de 19 ans, le jeune homme n’est pas tout à fait pris au sérieux par le patron de l’établissement. Qu’à cela ne tienne. Pierre Marcolini demande à son interlocuteur ce qu’il attend d’un chef pâtissier.
"Dans la pâtisserie, le plus compliqué, ce qui permet de faire la différence, ce sont les décorations", explique Pierre Marcolini qui excelle en la matière. En moins d’une demi-heure, après avoir exécuté différentes figures et avoir montré qu’il maîtrisait toute la finesse de l’écriture en chocolat - même en lettres gothiques -, le jeune homme est pris à l’essai pour quinze jours. Il y restera finalement plus de trois ans. À l’heure de reprendre son envol, son patron lui propose un plan de reprise de la boulangerie, mais Pierre Marcolini n’en veut pas, il estime ne pas avoir fini sa formation, toujours en quête de la perfection.
Vient l’heure des "belles maisons", Wittamer, Pierre Hermé et Fauchon, de quoi se (par)faire la main avant de décider, en 1994, de voler de ses propres ailes. Comme les génies de la tech dans la Silicon Valley, l’histoire entrepreneuriale de Pierre Marcolini démarre dans le garage de sa maison, à Kraainem.
C’est l’époque des "private labels", il produit pour des boulangeries et des pâtisseries et se fait rapidement une réputation dans le milieu, lui qui truste toutes les compétitions possibles et imaginables. Pour le chocolatier, 1995 est l’année charnière. Couronné champion du monde de pâtisserie à Lyon, il s’installe dans son premier atelier de 30 mètres carrés, avant, quelques années plus tard, de doubler la superficie et d’occuper 60 mètres carrés, toujours à Kraainem.
Travailler à la lueur de la bougie
Pâtisseries, chocolats et figurines, l’artisan travaille sans compter et le succès est au rendez-vous. Il produit pour un grand nombre de pâtissiers, mais toujours dans l’ombre de ceux-ci. Jusqu’à la fin des années 90, période à laquelle, poussé dans le dos par Nicolette Regout, sa première épouse, il décide de travailler à son nom, ce qu’il fait savoir à ses clients. "En un coup, notre chiffre d’affaires a diminué de moitié", s’amuse-t-il aujourd’hui.
Au fil des ans, le succès venant, alors qu’une première boutique a ouvert ses portes au Sablon, Pierre Marcolini se sent à l’étroit dans son atelier de Kraainem. Et les nuisances causées par l’atelier amènent l’un ou l’autre riverain à porter plainte au Conseil d’Etat. Résultat des courses? Le chocolatier ne peut plus commencer à travailler avant 6 heures du matin. Mais s'il souhaite suivre son carnet de commandes, l’artisan n’a pas le choix, il doit démarrer plus tôt. "On commençait dans l’atelier à 4 heures du matin à la lueur de la bougie pour ne pas se faire remarquer", se rappelle le chocolatier, qui sait qu’il va devoir trouver un nouvel espace.
C’est au tournant du millénaire que Pierre Marcolini se tourne vers la SRIB (devenue aujourd’hui Finance&Invest Brussels) qui accepte de le soutenir dans son désir d’expansion si un autre investisseur monte à bord. C’est dans ce contexte que Pierre Marcolini rencontre Guy Paquot, le patron de Bois Sauvage qui détient déjà une participation dans Neuhaus.
"Guy Paquot connaissait le produit et notre métier", explique le chocolatier qui n’a pas de mal à ouvrir son capital. Même en ouvrant les portes de son atelier à des investisseurs, l’artisan sait qu’il reste le seul maître à bord. Pour conforter sa position, dans le même temps, le chocolatier crée Regout Invest, son véhicule familial qui, au fil du temps, embarquera des amis.
Des emballages made by Delvaux
Soucieux de trouver de nouveaux emballages pour ses pralines, Pierre Marcolini, au culot, va voir François Schwennicke, alors patron de Delvaux. Le chocolatier est ulcéré par les ballotins composés de trois couches de pralines séparées par des feuilles en papier. "Tout le monde y va avec ses doigts, pioche dans le fond pour trouver une praline qu’il aime ou retourne le tout pour y voir plus clair", explique notre interlocuteur qui accorde un soin particulier à la présentation de ses chocolats.
"Avant de confectionner des sacs, Delvaux fabriquait des malles pour le voyage. Quand on les ouvrait, les vêtements se trouvaient sur différents plateaux", précise le chocolatier, avant d’expliquer que François Schwennicke s’est inspiré de ces malles pour concocter les nouveaux emballages qui, sur une idée du dessinateur François Schuiten, seront baptisées "mallines".
De fil en aiguille, le patron de Delvaux présente Olivier Coune à Marcolini, avant que Laurent Levaux n’entre à son tour dans la danse. Tous veulent aider l’artisan et tous deviendront actionnaires, un groupe qui sera logé dans Regout Invest qui, en 2012, changera de nom et deviendra 4M&Co (pour quatre mousquetaires). Olivier Coune, qui a été CEO de 2013 à 2016, est toujours actionnaire et est le président du conseil d’administration. Laurent Levaux et François Schwennicke sont, pour leur part, restés actionnaires jusqu’à l’entrée au capital de VM2 Holdings.
En 2006-2007, la volonté de certains d’introduire Marcolini en bourse n’est pas rencontrée par le fondateur de la société. "Lors d’une entrée en bourse, on n’a plus à faire à des investisseurs mais à des clients, ce sont monsieur et madame tout le monde qui ne connaissent pas notre business. Et nous, de notre côté, nous n’avions pas encore la vision de ce que nous voulions faire. Nous étions au firmament, j’aurais pu faire une belle affaire financière, mais cela aurait été suicidaire", résume Pierre Marcolini. C’est à cette époque notamment que Jean-Marie Delwart et la SRIB décident de retirer leurs billes. Les "quatre mousquetaires", qui ne voulaient pas entendre parler de la bourse, ont eu gain de cause.
Nespresso, what else?
C’est en 2007 que le groupe suisse Nestlé pointe le bout de son nez et grimpe dans le capital de Marcolini à hauteur de 4,5%. À l’époque, pour des raisons de confidentialité, Pierre Marcolini n’a pas pu communiquer les détails de ce deal improbable, mais les années ont passé, les langues peuvent se délier.
À cette époque, afin de poursuivre son expansion, le chocolatier a besoin de 10 millions d’euros. Il enfile son plus beau costume et met une cravate - "je ressemblais à un avocat ou à un banquier - et entame un road show afin de convaincre les investisseurs. Une petite trentaine d’entre eux mordent à l’hameçon et trois offres - une Belge, une Française (Crédit Agricole) et une Anglaise - arrivent sur le bureau de Marcolini.
Quand il reçoit un coup de téléphone d’un certain Roberto, un cadre de Nespresso rencontré quelques années plus tôt. "Nespresso cherchait quelqu’un pour concevoir des chocolats qui accompagneraient leur café. Je leur ai dit que c’était impossible, que j’étais en road show pour lever des fonds. Ils m’ont demandé combien je voulais, j’ai répondu 15 millions, en gonflant un peu et ils ont accepté." En deux semaines, le deal était plié et six mois plus tard, Marcolini présentait 40 chocolats différents à Nespresso. Et c’est tout. Il n’a jamais été question que Nestlé et Marcolini collaborent plus en avant. "Lors d'un conseil, on parlait du développement de la boutique de Stockel. J'entends encore le représentant de Nestlé demander "where is Stockel?'", s'amuse le chocolatier. C’est naturellement que, quelques années plus tard, le géant suisse a retiré ses billes, à l’amiable.
Le fonds britannique Neo Capital est alors entré dans la danse afin de développer la marque à l’international. Pour 15 millions d’euros, les Britanniques s’offrent 47% du capital, les 53% restants étant toujours détenus par les quatre mousquetaires. "Ce qui nous a plu avec Neo, c’est leur expertise, ils avaient fait le développement de Ladurée à l’international. Ils ont cet ADN qui consiste à dénicher des pépites avec un savoir-faire avant de les aider à se développer", explique Pierre Marcolini.
À la fin de l’année 2019, différents candidats - dont VM2 Holdings - sont venus frapper à la porte du chocolatier. La banque d’affaires Rotschild a été mandatée pour mener à bien la sortie de Neo et l’entrée d’un nouvel investisseur, mais le covid a pris tout le monde de court. "Jeanne Guillet, notre actuelle CEO, qui développait alors la Chine et le Japon, nous a dit avant tout le monde qu’on allait avoir un problème". On confirme.
Mais trois ans plus tard, le Japonais VM2 Holdings, "qui adore notre marque", est revenu à la charge et a emporté la mise. Cette fois, le chocolatier reste discret sur les montants et les parts de capital. On sait juste que le nouvel arrivant est "très largement" majoritaire et que deux des mousquetaires - Laurent Levaux et François Schwennicke - ont rendu leur épée. VM2 voit d’un bon œil l’achat du nouveau bâtiment et soutient le maintien de la production et du savoir-faire à Bruxelles. C’est tout bénéfice pour la région et pour l’emploi sachant que le groupe Marcolini emploie aujourd’hui plus de 350 personnes.
Et quand on lui demande ce qui, au fil des ans, a été le plus difficile, Pierre Marcolini répond, sans hésiter. "On dit que la seule porte qui sépare le rêve de la réalité, c’est le courage. Avec beaucoup de naïveté – c’est le propre de l’insouciance -, je disais que je voulais être le Chanel ou l’Hermès du chocolat. Mais il faut un temps fou pour installer une marque, c’est tellement difficile", conclut le chocolatier qui, au rang de ses plus grandes fiertés, n’oubliera jamais une lettre reçue en 2015 de Larousse pour lui annoncer son entrée au dictionnaire. Belle réussite pour le gamin dont la mère craignait qu’il finisse en prison.
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